Espace dédié aux naturistes à Paris
Espace dédié aux naturistes à Paris : « Ceux qui veulent se rincer l’œil seront déçus… »
Il faisait un peu frisquet. Mais ils ont tout enlevé. Une cinquantaine de naturistes étaient au taquet, ce jeudi, à midi, pour l’ouverture du première zone naturiste de Paris, située au bois de Vincennes. Ils ont même sympathiquement posé, en lançant leurs vêtements en l’air, pour le photographe AFP.
Puis ils se sont un peu égaillés, prenant leurs marques dans les coins et recoins du bois de Vincennes. Car la voici donc inaugurée, cette fameuse zone naturiste à Paris que personne n’attendait plus, tout du moins pas cette année. Mais mercredi soir, une dépêche AFP est tombée, annonçant cette ouverture dès le lendemain. Sur le site de la Ville, pas un mot, rien. Une façon de faire discrète, pas vraiment dans les habitudes d’une mairie qui a habitué à beaucoup communiquer.
Ouverture surprise
Tout a commencé en septembre 2016, avec l’adoption d’un vœu, proposé par deux élues EELV, en Conseil de Paris, demandant l’installation d’une zone naturiste dans Paris. Motif : la pratique est devenue un fait de société, la France serait même la première destination mondiale des naturistes. Et la pratique générerait un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros par an. Alors, quoi de plus étonnant que la capitale parisienne ne propose pas un lieu ouvert aux pratiquants ? Bref, l’idée était lancée, et une ouverture annoncée à la mi-mai dernier. Sauf qu’entre-temps, contraintes de calendrier politique et de maîtrise de l’espace obligent, le projet a été repoussé… reporté, non aux calendes grecques, mais à l’horizon 2018.
Et voilà donc que soudain, finalement, une zone de 7.300 m2 leur est dédiée, près de la réserve ornithologique du bois de Vincennes. L’espace, qui se veut être une expérimentation, sera ouvert tous les jours de 8h à 19h30 jusqu’au 15 octobre. Jeudi midi, étaient présents la maire du 12e arrondissement, Catherine Baratti-Elbaz, Pénélope Komites, adjointe aux espaces verts de la maire de Paris, les associations de naturistes et les élus EELV qui avaient porté le projet.
Peu de com’ sur le sujet
Mais alors, pourquoi ce modus operandi si discret ? Pourquoi prévenir la veille, alors que l’information était connue depuis 15 jours ? L’arrêté de la Ville a en effet été pris le 17 août dernier. Difficile de connaître le motif de cette prudente discrétion. Peut-être une volonté de ne pas trop mettre en avant un sujet propice aux critiques ? Julien Claudé-Pénégry, de l’Association des naturistes de Paris (ANP), qui a travaillé sur le dossier en lien avec la Ville, avance d’autres réponses : « L’information a été retenue exprès, pour être diffusée de manière uniforme, qu’il n’y ait aucune fuite et que la communication soit maîtrisée », raconte-t-il. « Et le projet avait déjà été reporté, on voulait éviter tout écueil ou déception au cas où il y a d’impossibilité au dernier moment ». Mais pourquoi la fameuse zone est-elle si peu mise en avant sur le site de la Ville, ou même sur ses réseaux sociaux ? Sa page Facebook affiche ainsi depuis 24h des rappels pour des cours municipaux d’adultes, des stages de lutte contre le gaspillage, des annonces pour du recrutement d’agents. Mais sur l’ouverture de l’espace naturiste à Paris, rien. Contactée, la Ville n’a pas encore répondu.
Sur le choix du lieu – pas vraiment central –, sur le fait que cette zone naturiste n’est vraiment pas dans les priorités, Julien Claudé-Pénégry balaie les critiques : « Il fallait une surface assez grande, que cela ne perturbe pas les gens », dit-il. « Et on a un espace, qui est là pour nous ! C’est un espace public qui reste gratuit et accessible à tous. » La phase d’expérimentation qui se lance – en des temps pas forcément des plus estivaux – va permettre de voir le ressenti des naturistes, celui des forces publiques, voir la fréquentation, si les chartes sont respectées… « On va voir comment les gens se l’approprient, ce qu’ils vont proposer, venir pique-niquer, jouer au badminton… «
Mais surtout, pour Julien Claudé-Pénégry, tout ça n’est qu’ »une première étape » : « L’objectif est de pouvoir, si ça se passe bien, se dire que l’an prochain, on aura peut-être un site avec une plus grande amplitude horaire, on pourra envisager d’essaimer dans d’autres jardins et parcs, voire d’autres villes… ! » Car pour lui, « légaliser un espace public à la pratique comme cela, permet de sortir la nudité de l’esprit marginal dans lequel on l’a enfermé, que ce soit banalisé. »
Comment se passera la confrontation des tout–nus et des habillés ? Le dispositif se veut pédagogique à Vincennes. La zone est délimitée par des panneaux « Vous entrez dans un espace où la pratique du naturisme est autorisée », qui explique la démarche et les valeurs du naturisme. « Les personnes habillées peuvent évidemment venir, sauf si elles ne veulent pas croiser de gens tous nus. Elles peuvent faire demi-tour », explique Julien Claudé-Pénégry. Il prévient d’éventuels crispés : « Il faut aussi ne pas incriminer un corps nu. Cela n’a rien de malsain, de désagréable. Au contraire, la nudité est avant tout notre première tenue. C’est le regard contemporain, tous les tabous, fantasmes qu’on nous colle aujourd’hui, qui font passer un corps nu pour quelque chose de désagréable. Mais le naturisme n’est que l’expression simple et saine d’une dimension qui est celle de l’humain. » Et l’association compte bien communiquer sur tout ça.
Pour l’instant à l’entendre, aucune crispation sur le site. « Il y a des personnes qui se croisent, posent des questions, sont plutôt curieux, viennent voir… », raconte le naturiste. « Certains disent même : ‘Ah mais c’est pas mal, j’oserais peut-être’… C’est quand même rassurant de voir que ça peut permettre à certains de franchir le pas vers cet art de vivre ! »
Yves Leclerc, vice-président de la fédération française du naturisme, salue aussi l’évènement. Mais avertit : « Il ne faut pas se faire d’illusion. Paris n’est pas Berlin, Munich ou Barcelone », détaille-t-il. « Dans les pays scandinaves et germaniques, on ne regarde pas les gens nus. Le naturisme est une pratique populaire, familiale et collective. En France, il faut faire évoluer les choses. Cela favorise le vivre-ensemble, en s’acceptant dans son corps et sa dignité. Le naturisme, on partage ou pas, mais il n’y a pas de raison de le condamner ces choses. C’est devenu un fait de société. »
Pour marquer le coup, un pique-nique est organisé dimanche. Tous ceux qui veulent s’y mettre sont conviés. Yves Leclerc prévient, par contre, d’éventuels voyeurs : « Ceux qui veulent se rincer l’œil seront déçus : c’est pas des couvertures de magazine de mode ! Ce sont des hommes, des femmes, des enfants très normaux ! »